Arthur l’appelait Excalibur, ton oncle beauf l’appelle Popol, Carpenter l’a appelée Christine. Christine, c’est une Plymouth pimpante au sourire à la Cheshire et au ronronnement d’un projecteur. La caméra la déshabille du regard alors qu’elle sort flambant neuve de son montage. Jusqu’au moment où elle se fixe sur le rétroviseur. Le rapport de force s’inverse. Nous sommes foudroyés du regard. Un regard qui tue l’employé qui a osé la pénétrer avec son cigare, répandant sa cendre en elle. Peau d’âne des temps modernes, Arnold Cunningham saura voir la beauté qui se cache sous sa couche de crasse, vingt ans plus tard, alors qu’elle s’enracinait doucement chez son étrange propriétaire (queer, diraient les anglais).
Arnold Cunningham est un lycéen et mécano passionné, à défaut de pouvoir rouler des mécaniques. Marginal mais néanmoins intégré par son amitié avec le gentil et populaire Dennis, il fait face aux affres d’une adolescence marquée par son manque de virilité apparente (qui lui vient sans doute d’une mère on ne peut plus castratrice - jusqu’à faire taire la Voix du père): il est incapable d’ouvrir son casier sans l’aide de Dennis qui se penche doucement sur lui. On transperce son sac de déjeuner avec un couteau d’où jaillit un épais liquide blanc, du yaourt. Couteau sans nom cette fois-ci mais le surnom que son propriétaire donne à Cunningham - Cunt-ingham (Con-ningham pour les sous-titres français) - fera bien l’affaire.
La rencontre avec Christine est plus qu’un coup de foudre. La monstruosité de la voiture qui se venge des oppresseurs d’Arnie- doublement violeurs lors de la scène du panier repas et lorsqu’ils tabassent Christine- n’est que la matérialisation d’une révolte intérieure qui sourde, révolte sociale et sexuelle, crise d’adolescence en somme. Nous sommes bien dans un conte horrifique, un récit d’initiation, voire une éducation sentimentale. Depuis que Christine est dans sa vie, Arnold peut affirmer son désir et séduire Leigh, la nouvelle, « une intello au corps de salope » selon les dires de la jeunesse. Virilité retrouvée au point que Dennis s’en casse la jambe. Mais se retrouve-t-il diminué parce que Arnold a réussi là où lui-même a échoué ou parce qu’il est jaloux de Leigh?
Néanmoins, la sexualité qui transperce l’écran, sexualité débridée (comme le moteur de Christine qui la propulse sur les routes nocturnes), n’est monstrueuse que parce qu’elle est queer. Ce qui fait peur n’est pas la pulsion animale mais la pulsion contre nature, la pulsion homo-érotique. Christine tue les individus qui pénètrent en elle. Christine force son chemin dans une cavité trop étroite où pensait échapper sa victime. Christine est rouge, Arnold porte un pull rouge: désir ou sang?
Arnold n’achèvera pas son initiation, la pulsion de vie appelle la pulsion de mort. Les deux êtres qu’il aimait, Dennis et Leigh, vont rétablir l’ordre hétérosexuel et mettre fin à la révolte adolescente (god they hate rock ’n’ roll). Mais seul le cinéma a le droit de mettre Christine en boîte, car de toute façon, on ne pourra jamais l’anéantir complètement. God save the queer… ou Satan?