Deux ans après son premier long-métrage Dark Star (écrit par Dan O’Bannon, futur scénariste d’Alien), John Carpenter réalise en 1976 Assaut, film de siège dans un commissariat, échec à sa sortie et désormais film culte du cinéaste. Loin des expérimentations libertaires d’autres réalisateurs du Nouvel Hollywood, mouvement phare de la décennie 1970 aux États-Unis, il affirme déjà ici son style intransigeant, brut, nihiliste et subversif reconnaissable entre mille.
Avec la scène d’introduction, meurtre brutal d’une bande de délinquants par des forces de polices déshumanisées (thème récurrent de sa filmographie) filmé de façon crue et sèche avec un cinémascope en courte focale, Carpenter pose les bases de sa mise en scène. Ses cadres précis, son goût pour le formalisme (cadres géométriques épousant les décors, la ville) et la violence, la patine de son image, rappellent fortement le cinéma de Don Siegel, vieux briscard aussi célèbre pour L’Invasion des profanateurs de sépultures (1956) que pour L’Inspecteur Harry (1971). Il serait tentant de ranger Carpenter dans la même case que Siegel vis-à-vis du Nouvel Hollywood, soit celle d’une arrière-garde de « modernes récalcitrants » (Jean-Baptiste Thoret). Mais il faudrait peut-être plutôt l’associer à un cinéaste comme Peter Bogdanovich (La Dernière Séance, La Barbe à papa), disciple d’Orson Welles qui tenta dans les années 1970 d’allier hommages à ses héros du cinéma classique (Welles, John Ford) tout en explorant des thèmes rendus accessibles par l’essor de la contre-culture.
Carpenter reprend avec Assaut la structure générale de Rio Bravo d’Howard Hawks (il signe d’ailleurs le montage du film par le pseudonyme « John T. Chance », le nom du personnage de John Wayne), mais en la confrontant à une violence impensable dans le cinéma classique. Passées quelques scènes d’introduction, l’ennemi se fait une force arbitraire, voire invisible alors que le commissariat est réduit en miettes par des tirs. Comme dans La Cible, le premier film de Bogdanovich, ce cinéma d’antan fait face à un mal profond et existentiel. L’un des tueurs de Assaut, comme le personnage du film de Bogdanovich, promène aléatoirement le viseur de son fusil sur des passants, en même temps que son doigt sur la gâchette, dans l’une des scènes culte du film baignée dans le thème entêtant composé par Carpenter. Un mal dépersonnalisé, qui traversera par la suite les autres films du réalisateur (le tueur invincible d’Halloween, la créature de The Thing, la voiture Christine).
Le basculement a lieu dans la scène la plus scandaleuse du film, le meurtre gratuit d’une fillette, alors que la tension monte lentement vers l’attaque du commissariat, et que le soleil décline. On pourrait y voir le crépuscule du cinéma de l’âge d’or Hollywoodien, dans encore quelques scènes de vie simple où l’on prend le temps de partager le quotidien du personnage principal du policier Bishop, avant que la nuit n’arrive inexorablement. A l’instar des autres personnages, ilpartage d’ailleurs avec ceux de Hawks ce sens de l’efficacité avant tout, de la fraternité professionnelle comme instinct de survie, qui unira indistinctement hommes, femmes, policiers, détenus présents dans la citadelle assiégée.
Carpenter reprend vers la fin du film le plan en vue subjective d’un viseur, figure que l’on trouvait dans la scène d’ouverture de L’inspecteur Harry, mais cherchant sa cible dans un couloir empli de fumée, comme une métaphore de la lisibilité attendue du cinéma classique en crise face à un ennemi désormais omniprésent, ce mal essentiel. L’autre thème musical du film, plus doux et mélancolique, sonne alors comme une douce élégie ; formes classiques, nouveaux enjeux.