Le conte diagnostiqué (ON MURMURE DANS LA VILLE de Joseph L. Mankiewicz)
Profession Reporter
Édition 2021-2022
Avec On murmure dans la ville, Mankiewicz n’a qu’un seul mot d’ordre : l’art du récit. On-dit, parole miraculeuse, plaidoyer, réquisitoire, cinéma ont cela en commun qu’ils racontent une histoire. La seule différence réside dans leur valeur de vérité (ou de vraisemblance ?). Peut-on vraiment croire en cette histoire d’amour où les deux amants finissent mariés et attendent un enfant au bout de deux semaines de relation ? Tout est possible si l’on ouvre l’œil de la caméra à la construction dialogique et dialoguée de l’amour. Les photogrammes cinématographiques comme fragments d’un discours amoureux ?
Déborah rencontre Noah dans un cours d’anatomie qu’elle prend pour comprendre le langage de son ancien amour, médecin. Elle défaille. À la vision du cadavre de la jeune fille? À moins que ce ne soit à celle du professeur. Noah nous apparaît d’abord comme un être de mots au travers de la description que donne une de ses anciennes employées lors d’un interrogatoire officieux, dans lequel elle révèle qu’il a par le passé soigné des paysans par la force de sa parole. Il soigne son élève évanouie en lui donnant un bonbon (est-ce vraiment niais de donner du glucose en cas de chute de tension ?). Donner un bonbon, voilà le geste miraculeux que ce médecin administre à tous ses patients. Dire des mots doux pour apaiser les âmes qui font souffrir les corps.
Il ne faut jamais s’enfermer dans la même pièce que la théorie académique, nous dit Mankiewicz, car elle vous dissèque comme un cadavre – osons le truisme – sans vie. Les collègues de Noah font une autopsie de sa vie pour trouver le mal qui l’habite : il est en mal de vérité. Ses pratiques de charlatan, dit-on, mettent en péril l’intégrité de la profession. Son procès, marqué par la présence d’une reproduction de La Leçon d’anatomie de Mr Tulp de Rembrandt, laisse place à la confrontation, non plus de deux discours de vérité, mais de deux formes de narration. Noah n’a pas la « prétention » (quoiqu’en dise sa femme) de parler au nom de son ami lorsque son nom surgit. Il préfère alors le mutisme (on regrettera sa volubilité quand il s’agit de parler de la condition féminine). Mais quand l’ami fait irruption dans la pièce, un miracle se produit. Le martyr qui n’avait pas mot dit depuis le début du film prend la parole. La leçon d’anatomie est presque achevée. Se font face l’histoire d’un cœur simple et l’histoire d’une oreille qui ne sait pas écouter (par exemple la musique qui monte doucement à elle par une fenêtre ouverte). L’homme sans vocabulaire est bien plus éloquent de vérité que le rhéteur.
Le film se finit en fanfare : triomphe le discours de l’art dont la narration opère dans la gestuelle du chef d’orchestre. Si le musicien veut bien lui prêter oreille.